Correspondence
LETTRE DE RAMEAU À L’ABBÉ ARNAUD - 1756
LETTRE DE RAMEAU À L’ABBÉ ARNAUD
1756
Dès que vous jugez à propos d’allonger mon Prospectus des idées que vous voulez me communiquer, ne pourrais-je pas en faire autant de celles par où débute ma Préface que je vous envoie et où même certains articles sont mieux traités que dans le Prospectus ? J’imagine, qui plus est, dès qu’on parle des Paradoxes de M. Rousseau, d’ajouter ce qui suit, par allusion à ce qu’on dit dans l’avertissement du VIe tome de l’Encyclopédie, deuxième alinéa, qu’il sait penser et s’exprimer avec netteté.
Si penser de la sorte, si l’exprimer avec netteté, l’emporte sur des vérités démontrées et rendues sans fard, ce ne peut guère être qu’auprès des ignorants : mais n’est-ce pas en même temps marquer bien du mépris pour son lecteur, pour son juge, auquel il ne faut que de l’oreille et du sentiment pour être affecté de la différence des effets entre l’harmonie et la mélodie et un peu de jugement pour en découvrir la raison dans le corps sonore même.
Cela pourrait être mieux tourné ; il y faudrait peut-être ajouter quelque chose de plus que ce que j’en dis ; je puis donner un exemple plus ample et faire graver la musique avec toutes les variétés de chant tirées de la même harmonie qui ne varient point l’effet éprouvé par cette harmonie ; en faisant reconnaître que l’expression du sentiment demande changement de ton au lieu que la peinture des images et l’imitation des différents bruits n’en a pas besoin, et que la seule mélodie secondée du mouvement et de l’acteur suffira, d’autant que l’âme reste toujours dans son même état de tranquillité tant que ce même ton subsiste, comme l’exemple le prouve.
Nous irons souvent en campagne et si vous pouviez nous faire savoir le jour que vous nous ferez l’honneur de venir dîner avec nous, vous nous mettriez à notre aise.
Monsieur l’abbé Arnaud à l’hôtel de Wurtemberg.